Shamsia Hassani, l’Art urbain face aux talibans
Souhaitant apporter de l’espoir et de l’inspiration aux gens, les oeuvres de Shamsia Hassani donnent la parole aux femmes afghanes. Elles racontent leur quotidien, leurs rêves, leurs désirs. Mais depuis peu, multipliant les publications bouleversantes sur les réseaux sociaux, l’artiste utilise son art pour lutter contre le retour de l’obscurantisme et interpeller la communauté internationale. Face aux talibans, malgré le danger, Shamsia Hassani est rentrée en résistance.
Le 9 août dernier, la street artiste Shamsia Hassani témoignait du retour au pouvoir des talibans en postant sur son compte Instagram une illustration accompagnée d’un commentaire: “Nightmare, Afghanistan 2021” (L’Afghanistan de 2021, un cauchemar).
Encerclée de silhouettes menaçantes, portant le niqab, serrant son instrument de musique, “celle” qui est devenue au fil du temps son personnage fétiche a du mal à cacher son désarroi. Elle n’est pas dupe sur son avenir. L’heure du cauchemar est de retour pour “celle” qui envisageait d’accomplir ses rêves, un avenir meilleur pour elle-même et les générations futures.
© Shamsia Hassani
Mais la première femme artiste de rue d’Afghanistan n’en reste pas là. Le 14 août, veille de la prise de Kaboul, Shamsia Hassani publie une nouvelle illustration avec pour message: “C’est peut-être parce que nos souhaits ont grandi dans un pot noir”.
Tenant un pot noir de pissenlit dans ses mains, son héroïne, debout, tête levée, fait face a un ténébreux barbu aux yeux injectés de sang, l’arme au poing.
Un pétale de pissenlit s’envole, peut-être un souhait ou l’espoir qui s’envole, ou devient hors de portée, du moins pour le moment. Les talibans sont aux portes de Kaboul.
© Shamsia Hassani
Deux jours après l’arrivée des talibans dans Kaboul et la prise de contrôle du pays, Shamsia Hassani lance un effroyable appel : “Death to darkness” (Mort aux ténèbres).
On peut y voir son héroïne à genoux sur le sol, se tenant la tête entre les mains en signe de douleur et de désespoir. Le pot de pissenlit qu’elle tenait est à présent à terre. De nombreux pétales de la fleur sont éparpillés sur le sol. À côté d’elle, tenant une arme dans une main en forme de griffe, une ombre masculine se tient debout.
Ses désirs vont devenir des interdits. Ses rêves sont brisés.
Le retour des fondamentalistes marque la fin de l’émancipation des femmes afghanes, commencée il y a vingt ans. De nombreuses restrictions vont s’abattre à nouveau. Plus aucun doute possible, elles vont souffrir.
© Shamsia Hassani
Mais qui est Shamsia Hassani pour défier ainsi les talibans ?
De son vrai nom Ommolbanin Hassani, Shamsia (“Soleil” dans sa langue) est née en 1988. Fille de réfugiés afghans originaires de Kandahâr, elle passe son enfance en Iran. Dès son plus jeune âge, Shamsia s’intéresse à la peinture. Mais, parce qu’elle est de nationalité afghane, elle n’est pas autorisée à suivre les cours des beaux-arts.
En 2005, elle décide de retourner en Afghanistan pour étudier la peinture et les arts visuels à l’Université de Kaboul. Après avoir obtenu son diplôme en peinture et une maîtrise en beaux-arts, Shamsia commence à pratiquer l’art contemporain, à donner des conférences et devient professeure agrégée de sculpture à l’Université de Kaboul.
Avec l’aide de 9 autres artistes, Shamsia fonde en 2009 le Berang Arts Organisation, un collectif d’artistes qui vise à rendre la culture et l’art contemporain accessibles à tous au moyen d’ateliers, de séminaires et d’ expositions.
En 2010, Shamsia assiste à un atelier de graffiti organisé par “Combat Communications”, et animé par Chu, un graffeur du Royaume-Uni. Dans “Bored Panda”, Shamsia explique que: “Les ateliers de Chu comprenaient de la théorie, des travaux pratiques et des présentations de différents artistes du monde entier. Là-bas, nous avons appris le graffiti pour la première fois. Au fur et à mesure que l’atelier se poursuivait, nous avons appris les techniques de pulvérisation et comment peindre des dessins à grande échelle sur les murs”.
C’est à cette occasion que Shamsia comprend combien le Street Art peut être un moyen pour partager ses idées et toucher un public qui n’est jamais allé à une exposition. “Je veux partager mon art avec les gens dans la rue, car je sais que beaucoup de gens ne peuvent pas aller dans les musées et les galeries. Ils pourraient ainsi découvrir et profiter de quelque chose de nouveau”, explique t-elle lors d’une interview avec “The Creators Project”.
“En Afghanistan, le graffiti est quelque chose de différent. En Europe et dans d’autres pays, le graffiti est quelque chose d’illégal. En Afghanistan, je l’utilise différemment pour un message différent, pour des idées différentes. Chaque type d’art est très bon pour le développement de l’art en Afghanistan. Je pense que le graffiti est meilleur parce que tout le monde peut le voir et qu’il est disponible à tout moment. C’est mon idée”, ajoute-t-elle dans “Art Radar journal “.
Elle comprend aussi que les graffitis peuvent être une solution pour faire disparaître les blessures non cicatrisées de son pays. Les couleurs vives de ses illustrations couvriront les murs transpercés par la guerre pour raconter une histoire résolument ouverte à l’espoir. “Je veux colorer les mauvais souvenirs de la guerre. Les gens ont une très mauvaise idée de l’Afghanistan et je veux changer cette conception avec mon art “, affirmait-elle en 2014 dans “The Guardian”.
Séduite par le caractère public du Street Art, très vite, elle commence à graffer dans les rues de Kaboul. Mais pratiquer cet art dans un pays classé comme l’un des plus dangereux au monde demande du courage.
“En tant que femme, c’est compliqué pour moi d’être seule dans la rue. Les femmes sont souvent harcelées et ce n’est pas très agréable. Lorsque les gens me voient dehors en train de faire des graffitis, ils disent des gros mots, ils maudissent et certains appellent ça un péché. Les Afghans ne sont pas contre l’art, mais ils sont contre les femmes qui ont de telles activités” a-t-elle expliqué dans “The Independent”.
“J’ai vraiment peur des espaces publics. J’ai vraiment peur des explosions qui se produisent tout le temps” a-t-elle ajouté dans “DW”.
Entre les invectives, les menaces en tout genre et la peur des attentats suicides, lorsque Shamsia trouve un mur à peindre à Kaboul, sa première pensée est souvent sa propre sécurité.
Propulsée par son goût pour le graffiti et l’envie de faire la différence, Shamsia imagine des pochoirs qui ne nécessitent que quelques couleurs pour limiter son temps dans la rue à environ 15 minutes, et réduire ainsi les dangers. “Quand je peignais dans des espaces publics, je commençais à me sentir en danger après environ 15 minutes, alors je quittais les lieux. Si j’avais eu la possibilité de rester 2 à 3 heures de plus, mes oeuvres auraient été meilleures, mais en 15 minutes, tout ce que je pouvais faire était de peindre quelque chose de très simple ou de laisser la pièce inachevée.” a-t-elle expliqué dans “Bored Panda”.
L’autre difficulté à laquelle Shamsia est confrontée, c’est de trouver un espace mural où elle est autorisée à peindre. “Il y avait aussi un manque d’endroits pour les graffitis. Personne ne voulait un tableau sur ses murs, Ils n’étaient d’accord que si je réalisais quelque chose à leur goût. Ils avaient leurs propres demandes et ne voulaient pas de mes œuvres”, raconte-t-elle dans “Bored Panda”
© Shamsia Hassani
Pour contourner cette autre difficulté, elle imagine alors un concept qu’elle appelle “Dreaming Graffiti”. Shamsia prend en photo les murs et surfaces qui l’inspirent, puis elle applique dessus les croquis de ses œuvres.
Quand elle ne pratique pas dans la rue, Shamsia Hassani partage aussi ses oeuvres sur les réseaux sociaux et travaille dans son atelier qui regorge de productions de toutes sortes, tels que des toiles à grande échelle aux séries miniatures ou customisées comme par exemple, une basket “air Jordan” récemment relookée pour l’exposition “Sneakers Generation” organisée par la galerie Sakura (A Paris, jusqu’au 14 novembre 2021).
©Galerie Sakura
Depuis, Shamsia Hassani a développé un style unique mettant en scène un personnage récurrent: une femme aux yeux fermés et sans bouche. La situation précaire des femmes et des filles dans une société afghane traditionnelle et patriarcale est au premier plan de sa démarche artistique.
Dans “Bored Panda”, l’artiste dit avoir choisi son personnage pour qu’il soit une femme. “Une femme aux yeux fermés et sans bouche, souvent avec un instrument de musique, qui lui donne le pouvoir et la confiance nécessaire pour parler et jouer. Ses yeux fermés représentent ce qu’il n’y a rien de bon à voir. Elle choisit de tout ignorer pour qu’elle puisse ressentir moins de chagrin. Mais il y a toujours un message d’espoir, en l’occurrence représenté par un instrument de musique. Parce que la musique est un langage universel, elle peut surmonter les barrières et toucher tout le monde”.
“Le personnage de mes œuvres joue parfois des rôles différents comme celui d’une combattante ou d’une réfugiée sans avenir. Parfois, elle cherche la paix, et parfois elle n’a aucune identité. Elle se perd également dans ses rêves ainsi que dans la douleur et le chagrin, elle lutte avec le passé et l’avenir, mais c’est une patriote qui aime sa patrie et combat le désespoir”, ajoute-elle dans “Bored Panda”.
Parce qu’elle est une femme, elle revendique le fait de mieux les comprendre.
À travers son héroïne, Shamsia vise à dissiper les perceptions erronées des femmes musulmanes en démontrant que choisir entre la burqa et le niqab ou ne rien porté n’est pas la même chose que d’être des femmes libres. Elles le seront que lorsqu’elles pourront parler pour elles-mêmes et être entendues. “Dans beaucoup de pays, les gens pensent que le problème, c’est la burqa, Ils pensent qu’il suffit que les femmes enlèvent leur burqa pour que les problèmes disparaissent. C’est faux. Je pense que les Afghanes sont confrontées à de nombreux problèmes, par exemple, lorsque celles-ci ne peuvent pas avoir accès à l’éducation ; c’est plus un problème que de porter la burqa” expliquait-elle au “Art Radar Journal”. Ces femmes sont présentes dans toutes ses œuvres car “il y en a beaucoup qui oublient toute la tragédie vécue par les femmes en Afghanistan, c’est pourquoi j’utilise mes peintures comme un rappel, je veux montrer que les femmes sont revenues dans la société afghane sous une forme nouvelle. Ce n’est plus une femme qui reste à la maison, c’est une femme nouvelle, une femme pleine d’énergie, qui veut recommencer. J’essaie de les rendre plus grandes qu’elles ne le sont réellement ; plus fortes, plus heureuses et en mouvement”, a déclaré Shamsia à “Art Radar journal”.
Quels que soient les défis, convaincue que l’Art peut apporter un changement social en Afghanistan, que tout le monde n’a pas besoin d’être un artiste pour apporter le changement, mais que tout le monde peut faire un effort pour avoir un impact positif sur la société, et c’est ce qu’il doit faire, Shamsia continuera à utiliser l’Art pour lutter pour la paix et la liberté des femmes afghanes; “Il est difficile d’utiliser l’art pour arrêter la guerre, mais je crois que nous pouvons faire changer d’avis beaucoup de gens et partager nos idées; nous pouvons leur dire que l’art peut apporter le changement”. “L’Art est une manière amicale de combattre toutes sortes de problèmes” explique-t-elle dans “Gshow”. Sur son site, elle ajoute même que “L’Art change les esprits et les gens changent le monde”.
Bien que son rêve de voir les femmes et les filles afghanes libres et respectées ait été brisé ces dernières semaines, depuis plus de 10 ans, les œuvres de Shamsia ont inspiré des milliers de femmes à travers le monde et ont donné un nouvel espoir aux femmes artistes afghanes. “Celle qui aimerait collaborer avec Banksy” a également motivé de nombreux artistes afghans à développer leur créativité avec son festival de graffiti, ses cours d’art, ses performances live et expositions aux quatre coins de la planète (États-Unis, Italie, Allemagne, Inde, Vietnam, Suisse, Danemark, Norvège, Australie).
Alors que beaucoup s’inquiètent de la survie de l’artiste en terre afghane, parmi l’une de ses dernières publications, on devine que Shamsia a malheureusement du se résigner à quitter son pays: “Merci pour vos messages et de penser à moi en ce moment. Vos messages et vos commentaires montrent que l’humanité et la bonté sont toujours vivantes et n’ont pas de frontières. Merci pour votre soutien et pour votre sollicitude, je suis en sécurité“.
Michaël Cormier.
The window of our house
© Shamsia Hassani
Série: Birds Of No Nation
© Shamsia Hassani
Série Dreaming Graffiti: Bamyan
© Shamsia Hassani
Série Banksy
We can’t catch it anymore…
© Shamsia Hassani
Eugene, Oregon (USA)
© Shamsia Hassani
Earth
© Shamsia Hassani
Untitled
© Shamsia Hassani
Série: Once upon a time
© Shamsia Hassani
Série Banksy
© Shamsia Hassani
Série: Dreaming Graffiti
© Shamsia Hassani
2020
© Shamsia Hassani
Thinking about Beirut
© Shamsia Hassani
Series: Memories
© Shamsia Hassani
Let’s make peace
© Shamsia Hassani
Series: I wish
© Shamsia Hassani
With a broken heart
© Shamsia Hassani
My wishes
© Shamsia Hassani
Once upon a time
© Shamsia Hassani
Silence
© Shamsia Hassani
Idendity
© Shamsia Hassani
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